Chose promite, chose dute.
Voici la longue traduction de la page http://dylanchords.info/professors/tt/ttch13.html
J'ai essayé de respecter le style faussement juridique, à l'aide de quelques souvenirs de Trial movies que j'ai pu subir en VF ici ou là. J'ai eu moins de mal à respecter le style un peu ampoulé de sa conclusion musicologie
J'ai ajouté à la fin quelques "notes du traducteur" (en chiffres romains), puis les sources citées par l'auteur de l'essai. Il y a quand même un bout de phrase que je n'ai pas du tout compris. Je l'ai laissé en anglais, si quelqu'un a une idée...
Je ne mets pas de "quote", c'est assez indigeste comme cela. Les quelques tablatures sortent mal, il faudra vous reporter à la page originale si vous voulez essayer de les comprendre.
Chapitre 12
Ce n'était pas Bruce
Un Polar [i ] Musical (Don’t Think Twice (1962)
Affaire 1962-77002: Le Peuple des Etats-Unis contre Langhorne
Courtroom of Honor
Judge Paul N. de Disgavel [ii]
Le JugeNous en arrivons à l'affaire sept-sept-zéro-zéro-deux, le Peuple des Etats-Unis contre Bruce, concernant la partie de guitare sur une certaine chanson, ‘Don’t Think Twice’, enregistrée au Columbia Studio A, New York, dans l'après-midi du 14 novembre 1962. L'accusation affirme et a toujours affirmé que la guitare qui accompagne le chant de Bob Dylan sur cette chanson est jouée par Bruce Langhorne. La défense, Dr. Eyolf Østrem soutient que la guitare est en fait jouée par une personne totalement différente.
Je demande au Procureur William Gully de s'avancer et de présenter ses preuves devant la cour.
GullyMerci, Votre Honneur. En complément des preuves écrites directement liées à cette affaire, je présenterai également les dépositions de témoins estimés dont le jugement est généralement reconnu et pèseront de tout leur poids.
Laisser moi commencer avec la Pièce A : les notes de pochettes de The Freewheelin’ Bob Dylan, sur lequel cette chanson fut initialement publiée. Elles sont écrites par Nat Hentoff, un proche de Dylan à l'époque. L'accusation appelle Mr. Hentoff à la barre pour exposer les faits.
Nat HentoffIl n'y a à vrai dire que peu à expliquer :
L'accompagnement de Dylan sur cette chanson se compose de Bruce Langhorne (guitare), George Barnes (guitare basse), Dick Wellstood (piano), Gene Ramey (contrebasse) and Herb Lovelle (batterie).1
GullyMerci, Mr Hentoff. Je suis déjà tenté de dire : "Affaire suivante", mais si la défense souhaite poursuivre, le témoin est à vous.
ØstremAbsolument, nous souhaitons poursuivre, merci.
Mr Hentoff, puis-je vous demander : qu'est-il arrivé à Messieurs Barnes, Wellstood, and Lovelle ? Selon votre témoignage, tous jouent sur cette chanson, mais je ne peux les entendre à aucun moment. Jouent-ils tout doucement ? C'est difficile à croire, surtout après avoir entendu la chanson ‘Mixed up Confusion’ dont ils avaient joué quinze prises durant les heures précédentes. Aurais-je raison de supposer que les notes que vous avez écrites font en fait référence à une autre prise de ‘Don’t Think Twice’, enregistrée lors d'une telle session et jamais publiée ?
HentoffJe suis désolé, je ne sais pas répondre à cette question, cela fait maintenant trop longtemps. Vous devriez peut-être consulter les archives de la session d'enregistrement.
ØstremC'est une bonne idée. Néanmoins, je demande de rejeter la Pièce A, les notes de pochette de Freewheelin’, en tant qu'elles sont non probantes et donc non pertinentes concernant notre affaire.
Le JugeAccordé.
ØstremMr Gully – Bill, c'est cela ?
GullyJe vous remercie de laisser les prénoms hors de tout cela. Les archives de la session, absolument. L'accusation souhaite appeler notre témoin suivant, Mr. Olof Björner, distingué et respecté chronologue et sessionologiste, qui apportera tous les éclairages requis.
BjörnerVoici ce que je sais de cette session d'enregistrement :
Studio A
Columbia Recording Studios
New York, Etat de New York
14 Novembre 1962
6th session de Freewheelin’ Bob Dylan, produit par John Hammond.
1. Mixed-Up Confusion
2. Mixed-Up Confusion
3. Mixed-Up Confusion
4. Mixed-Up Confusion
5. Mixed-Up Confusion
6. Mixed-Up Confusion
7. Mixed-Up Confusion
8. Mixed-Up Confusion
9. Mixed-Up Confusion
10. Mixed-Up Confusion
11. Mixed-Up Confusion
12. Mixed-Up Confusion
13. Mixed-Up Confusion
14. Mixed-Up Confusion
15. Mixed-Up Confusion
16. Don’t Think Twice, It’s All Right
17. Ballad Of Hollis Brown
18. Ballad Of Hollis Brown
19. Kingsport Town
20. Kingsport Town
21. Whatcha Gonna Do
Bob Dylan (guitare, harmonica, vocal).
1-15 George Barnes (guitare), Bruce Langhorne (guitare), Dick Wellstood (piano), Gene Ramey (contrebasse) and Herb Lovelle (batterie).
16-21 Bruce Langhorne (guitare).
Notes.
Enregistré de 15 à 17 heures.
Clinton Heylin fait état de rumeurs concernant une version électrique de Don’t Think Twice, It’s All Right et une version jazzy [iii] de Mixed-Up Confusion.
La prise13 contient des overdubs par des musiciens non identifiés enregistré le 8 Décembre 1964.
Seules les prises 10, 13, 16, 18, 20, et 21 ont été publiées.
Les prises 2–5, 14, et 17 sont seulement des fragments.
Les prises 6, 12, 19 sont des prises incomplètes.
Références.
Clinton Heylin: Bob Dylan. The Recording Sessions [1960 – 1994]. St. Martin’s Press December 1995, pp. 13–18.
Glen Dundas: Tangled Up In Tapes. A Recording History of Bob Dylan. SMA Services 1999, page 10.2
ØstremMr. Björner, laissez-moi tout d'abord louer votre remarquable travail, que j'ai moi-même parcouru intensivement. Même en cette occasion (bien que j'en conteste un détail mineur) votre compte-rendu de la session en question est une excellente occasion de recréer les événements de cette journée. Je souhaiterais les reprendre avec vous.
Ils ont commencé, comme on peut le voir, avec quinze prise – quinze ! – de ‘Mixed up Confusion’, dans laquelle Dylan était accompagné des musiciens mentionnés par Mr Hentoff. Il semble vraiment avoir régné une bonne dose de confusion. Ensuite, selon votre enquête; trois d'entre eux sont partis et seul Bruce Langhorne est resté dans le studio, pour jouer l'accompagnement à la guitare sur les quatre chansons suivantes : ‘Don’t Think Twice’, ‘Ballad of Hollis Brown’, ‘Kingsport Town’, et ‘Whatcha Gonna Do’. Est-ce correct ?
BjörnerPour autant que je puisse le savoir, oui.
ØstremVous indiquez également deux éventuelles prises complémentaires enregistrées cet après-midi là : une version électrique de ‘Don’t Think Twice’, et une version jazzy – Grands dieux ! – de ‘Mixed up Confusion’. Cela fait beaucoup à caser en deux heures de session, non ? Il n'a pas dû rester beaucoup de temps pour répéter et passer les chansons en revue, non ?
BjörnerCela fait certainement beaucoup, mais je suis sessionologiste, pas musicien, je ne puis pas vraiment dire.
ØstremMais en tant que sessionologiste, diriez-vous que c'est possible ?
BjörnerJe suppose, oui. Il y a pleins d'autres exemples dans l'histoire des enregistrements de Dylan où les choses se sont faites rapidement.
ØstremY compris les répétitions et tout le reste ?
BjörnerProbablement pas. Ce n'était habituellement pas le cas. Dylan est connu pour ne pas répéter mais plutôt décanter tout en studio, pendant que ça tourne. Et il était pour sûr capable d'enregistrer beaucoup en peu de temps.
ØstremReprenons ces chansons. ‘Mixed up Confusion’ – quinze prises. Puis nous avons une seule prise de ‘Don’t Think Twice’. Puis un fragment de ‘Hollis Brown’, suivi d'une prise complète. Même chose pour ‘Kingsport Town’ – un fragment et une seule prise complète, et finalement, une seule prise de ‘Whatcha Gonna Do’.
Sur les trois dernières, on entend distinctement deux guitares. L'une est celle de Dylan, martelant rythmiquement et infatigablement sur ‘Hollis Brown’, grattant calmement sur ‘Kingsport Town’, et principalement marquant le rythme de ‘Whatcha Gonna Do’. L'autre, donc, est celle de Langhorne, qui embellit l'accompagnement squelettique déposé par Dylan. Pourriez-vous confirmer que, tandis que ‘Mixed up Confusion’ est une tentative de trouver un arrangement pour une chanson, les trois dernières peuvent être considérées comme des chansons de Dylan avec fioritures, des chansons qui pourraient tout aussi bien avoir été enregistrées par Dylan seul, mais comme il y avait un excellent guitariste également présent... ?
BjörnerCela semble plausible.
ØstremJe reviendrais sur ce point. Laissez-moi vous poser une dernière question : d'où tenez-vous ces informations ? Vous citez Clinton Heylin et Glen Dundas – y a-t-il des archives de cette session, n'était-il pas courant de noter toutes ces informations ?
BjörnerC'est vrai. Pour la plupart des sessions de Dylan dans les années soixante, nous avons de telles archives, mais
Les notes de session [iv] sont manquantes pour cette session, l'information provient de Dundas.3
ØstremMerci. C'est tout pour l'instant.
GullyL'accusation appelle maintenant Clinton Heylin, célèbre biographe et sessionologiste de Dylan, qui a également étudié minutieusement cette affaire. Mr Heylin, pensez-vous que la guitare de ‘Don’t Think Twice’ était jouée par Bruce Langhorne?
Clinton HeylinJ'en suis convaincu,
Une fois tous les musiciens, excepté Langhorne, payés et libérés, Dylan repris la session avec une fabuleuse interprétation de ‘Don’t Think Twice, It’s All Right’ qui aurait pu démontrer quel bon guitariste il était devenu, sauf que c'est Langhorne qui réalise cet acompagnement impeccable. Quelles que soit les "très intéressantes parties de guitare" que pouvait produire Dylan, elles étaient de toute évidence mieux interprétées par un virtuose tel que Langhorne.4
GullyParfait. Je pense que tout est clair, n'est-ce pas ? Qu'en pense la défense ?
ØstremMr Heylin, si nous laissons de côté un instant votre brillant trait d'esprit, permettez-moi de revenir sur un point : comment savez-vous cela ? Avez-vous eu un accès direct à des sources qui nous seraient restées inconnues ?
Clinton HeylinMalheureusement, non. Les notes de sessions sont, comme indiqué par Mr Björner, perdues. Mais j'ai travaillé sur les archives de Sony, à New York et produit
le recensement de loin le plus complet et précis des enregistrements de Dylan pour Columbia à cette heure. [. . . ] A partir de simplement une douzaine de numéro CO [les numéros attribués à chaque chanson enregistrée] et l'accès au système cardex de Sony, j'ai pu enfin reconstituer toutes les sessions. Et au fur et à mesure que les CO se multipliaient, les trous se comblaient. 5
ØstremCela signifie-t-il que vous avez également comblé ce trou particulier ?
Clinton HeylinHum, non, pas celui-ci. A cause de Dylan et de sa
profonde aversion envers ceux qui tentent de documenter son travail,6
ainsi que l'obstination de ses proches et leur crainte face aux vrais critiques tels que moi. Ils ne m'ont pas laissé étudier les boites des bandes elles-mêmes. A la place,
le superviseur officiel des archives Dylan, Jeff Rosen, a finalement laissé un moindre Dylanologiste de travailler à sa place, fouillant les mêmes caves [. . . ] [Celui-ci, Michael Krogsgaard,] a écrit deux articles sur les sessions de Dylan pour Columbia. Principalement parce qu'il n'est qu'un simple discogrape, non pas un critique, et donc pas une "menace" pour la mystique patiemment construite autour de Dylan (ni pour Rosen), Krogsgaard s'est vu offrir l'accès aux boites de bandes elles-mêmes,
ce putain de Danois de merde ...7
ØstremPardon, pourriez-vous répéter ?
Clinton HeylinNon, non, rien.
ØstremAh . . . Quoiqu'il en soit. Donc même vous n'avez pas la preuve formelle que c'est bien Bruce Langhorne qui joue sur ‘Don’t Think Twice’?
Clinton HeylinEt bien, je devrais peut-être nuancer ma déclaration précédente et plutôt dire que
C'est probablement Langhorne qui interprète les remplissages [v] de guitare de si bon goût qui embellissent les trois dernières chansons enregistrées lors de la session du 14 Novembre 1962. Si Dylan est sorti vexé de la version jazzy de ‘Mixed Up Confusion’, il est de toute évidence revenu dans la minute, vexé. Quatre chansons, toutes accoustiques, ont été enregistrées après que le groupe de Freewheelin’ a replié ses instruments et quitté le Studio A. Je dis quatre, mais si l'on en croit les notes de ochette de Nat Hentoff sur Freewheelin’, ‘Don’t Think Twice, it’s All Right’ fut vraiment enregistrée avec le groupe du 14 Novembre et une version électrique fut retenue pour l'album. Encore plus mystérieusement, selon les archives Columbia, la version publié de ‘Don’t Think Twice’ était une première prise [. . . ]. Serait-il possible que la version publiée ait été enregistrée avec les musiciens, qui auraient ensuite été effacés au mixage ? Cela semble inconcevable – un tel groupe sur l'interprétation que l'on entend sur l'album? Je ne pense pas. Du coup, en 1995, le mystère (ainsi que les notes de pochettes) demeure.8
ØstremSi je vous comprends bien, la qualité du jeu est un élément important de votre verdict selon lequel c'est Langhorne qui joue ? Vous utilisez des termes tels que "bon goût", "accompagnement impeccable", et vous qualifiez Langhorne de ‘virtuose’.
HeylinCe serait un élément, oui.
ØstremOh non, pas seulement un élément, si je puis me permettre. Cela me semble le principal élement, la goutte qui fait déborder le vase d'indices : les notes de Nat Hentoff, la présence d'un guitariste renommé tel que Langhorne sur les prises précédentes et suivantes... sont-ce là les seuls faits qui attestent l'affirmation selon laquelle il s'agit bien de Langhorne qui joue ?
Heylin. . . Et bien . . . Vu de cette façon . . . Peut-être . . .
ØstremUne dernière question, Mr Heylin. Êtes-vous musicologiste, ou avez-vous une autre formation en analyse musicale ?
HeylinNon, Monsieur. Mais je suis très . . .
ØstremAlors j'en ai fini sur ce sujet.
La défense appelle maintenant Mr Michael Krogsgaard.
Mr Krogsgaard, vous êtes le "moindre Dylanologiste" que cite Mr Heylin, c'est bien cela ?
KrogsgaardJe préférerais d'autres qualificatifs, mais je suis bien la personne qui fut autorisée à étudier le matériel dans les archives de Columbia archives, oui.
ØstremAlors, avez-vous trouvé personnellement des preuves tangibles au sujet de cette fameuse session ?
KrogsgaardNon,
Malheureusement, les bandes (et notes de session) pour la session suivantes n'étaient pas disponibles.9
ØstremQuelles en sont les conséquences ? Pouvez-vous nous expliquer précisément ce que contiennent les notes de sessions ?
KrogsgaardLes notes de session sont des listes établies durant chaque session et glissée dans chaque boite de bande. Les notes recensent la date, le studio, l'artiste, quelles sont les chansons enregistrées et leur numéro CO (un numéro de référence propre à Columbia) pour chaque composition (parfois ajouté plus tard). Chaque prise enregistrée est annotée comme complète (C), avec un faux départ (b) ou un long faux départ (B). Il est mentionné sur ces notes quelles prises ont été reportées sur d'autres bandes pour un usage ultérieur.
Les boites des bandes elles-mêmes contiennent aussi habituellement des informaions sur toutes les prises e sur celles reportées pour usage ultérieur.10
ØstremMais dans notre cas, mêmes les boites des bandes sont manquantes ?
KrogsgaardExact.
ØstremEt ces deux types de sources sont les seules où sont disponibles les informations exactes concernant les interprêtes de chaque prise, c'est bien cela ?
KrogsgaardOui.
ØstremQuelles sont vos conclusions concernant qui a joué quoi, alors ?
KrogsgaardColumbia Recording Studio
New York, Etat de New York
14 Novembre 1962, 15h à 18h
Produit par John Hammond.
Ingénieurs du son: Knuerr et Dauria.
1. Mixed Up Confusion CO76982
2. Don’t Think Twice, It’s All Right CO77002
3. Ballad of Hollis Brown CO77003
4. Kingsport Town (trad.) CO77004
5. Whatcha Gonna Do CO77005
1 reprise avec des overdubs aux Studios Columbia, le 8 Decembre 1964.
Musiciens non recensés, mais probablement les mêmes que le 1er Novembre pour le morceau 1 et Bruce Langhorne à la guitare sur les morceaux 3–5.11
ØstremEt concernant la seconde – ‘Don’t Think Twice’ ?
KrogsgaardJe n'ai pas d'opinion précise à ce sujet, Monsieur.
ØstremMerci beaucoup. J'en ai terminé avec vous.
J'ai deux autres témoins. Mr Langhorne pourrait-il s'avancer, s'il-vous-plait ?
[remous dans l'assistance]Mr Langhorne, pourriez-vous nous en dire davantage au sujet de vos interventions lors de ces session de Novembre 1962 ?
Bruce LanghorneJe me souviens avoir fait une version de ‘Corrine Corrina’ avec Bob, qui était accoustique, et je jouais de la guitare accoustique. je pense que c'était de l'accoustique. Je ne me souviens plus vraiment de la session dont vous parlez, en fait. Peut-être était-ce des overdubs ou autre chose . [. . . ] Je ne sais plus vraiment. Je ne peux vraiment pas m'en souvenir.12
ØstremEt au sujet de ‘Don’t think twice’?
Bruce LanghorneJe repousse les limites de ma mémoire, là. Si je m'en souviens bien, il (Dylan) a joué la guitare. Je n'ai joué que quelques ornements. La principale partie de guitare est de lui-même sur ce morceau.13
ØstremDes ornements, vous dites. Personnellement, je n'arrive pas à entendre plus qu'une guitare sur cette chanson ; cela se pourrait-il que Dyaln ait joué cette chanson complètement seul ?
LanghorneComme je l'ai dit, si je m'en souviens bien, Dylan jouait de a guitare. je ne peux pas m'en souvenir. C'était... Quand ? Durant les sixties ? Si vous pouvez vous souvenir des sixties, c'est que vous n'y étiez pas. J'y étais.
ØstremMerci beaucoup, Mr Langhorne. Mais au fait, qu'avez-vous à la main ?
LanghorneOh, ce n'est rien. J'ai trempé dans l'aérospatiale, les fusées, quand j'étais gosse, j'y ai laissé trois doigts. Django et moi, quoi.
ØstremC'est sur votre main droite aussi, celle des pickings, en quoi cela a-t-il modifié votre style de jeu ?
LanghornePlutôt pas mal –
Comme j'ai des doigts manquants, certains styles de guitare m'étaient à jamais inatteignables. Par exemple, je ne pouvais pas jouer correctement le flamenco. Le classique était difficile pour moi, bien que j'en ai joué un peu. Mais comme je ne pouvais pas développer ma technique au point de pouvoir jouer l'ensemble du répertoire pour guitare, j'ai dû développer une technique selon mes propres critères esthétiques. En fait, je devais écouter et me dire, OK, ça pourra sonner avec trois voix. Parce que j'avais un contrôle plutôt bon sur trois voix à la guitare. Je pouvais aussi gérer un jeu à quatre voix, mais cela me coutait des efforts physiques supplémentaires. Parce que, comme à la base je jouais avec trois doigts, cela signifiait que je devais jouer deux notes avec le même doigt sur un instrument à six cordes, ou alors je devais gratter en rythmique. Et donc, j'ai développé un style et une technique basé partiellement sur la musique classique, parce que je séparais les voix. J'utilisais chacun de mes doigts pour générer une ligne, une ligne polyphonique, ou alors [I would play, which is why I say I really needed someone who had a thread going to really do my job]. Parce qu'alors, il pouvait générer deux lignes polyphoniques, ou bien une structure rythmique. Et ensuite, je pouvais amérliorer çà.14
ØstremDe ce que vous dites, je retiens que vous joue principalement le genre de remplissages et ornenements qu'on peut entendre sur des morceaux tels que ‘Corrina, Corrina’ et ‘Love Minus Zero/No Limit’, et pas le genre d'accompagnements complets – et également exquis – qu'on entend sur ‘Don’t Think Twice’ ?
LanghorneAbsolument, oui.
ØstremMerci beaucoup, Mr Langhorne.
Mon ultime témoin ne peut être présent en personne, mais il sera avec nous via satellite depuis quelque part dans le monde, où il est actuellement en tournée. Donc, dès que nos techniciens auront établi la liaison...
[les techniciens du tribunal installent un écran video et un projecteur]. . . nous sommes prêts à accueillir, l'artiste enregistrant pour Columbia, Bob Dylan. Mr Dylan, comme vous le savez, nous sommes ici pour dévattre d'une certaine performance sur l'un de vos albums, the Freewheelin’ Bob Dylan. Pouvezvous nous en dire davantage à ce sujet, à quoi a ressemblé son élaboration ?
Bob DylanBen, j'étais heureux de faire un album avec mes propres compositions, et j'ai fait un peu de picking dessus. ‘Don’t think twice.’ J'ai pu en jouer un peu. J'ai pu jouer un peu en open tuning . . . ‘Oxford Town,’ Je crois qu'elle est sur cet album. C'est de l'open tuning. J'ai pu faire des talking blues. J'ai pu faire des ballades, comme ‘Girl from the North Country.’ C'est juste que ça apportait un peu de variété. J'aimais bien ça.15
ØstremVous parlez de ‘Don’t Think Twice’, avez-vous joué sur celle-là ?
Bob DylanOuais, c'est pas ce que je viens de dire ?
ØstremEn fait, non. Vous l'avez mentionnée, puis vous avez dit que vous aviez pu jouer en picking sur cet album. Nous aimerions une réponse plus précise encore. Certains disent que la partie de guitare sur cette chanson n'est pas de vous, Mr Dylan, mais jouée par Bruce Langhorne, également présent lors de cette session. Qu'avez-vous à répondre à ça ?
Bob DylanLes gens ont le droit d'avoir leur propre opinion.
ØstremMais vous devriez être le premier à savoir, de première main, pour parler ainsi. Pouvez-vous nous dire : cette partie de guitare était-elle jouée par vous ou Bruce Langhorne ? A-t-il seulement joué sur cette chanson ?
Bob DylanBruce ? Ouais, il était là. Il . . .
[crissements et bruits blancs en provenance de l'écran video, au moment ou la liaison s'interrompt]ØstremMr Dylan? Vous êtes là ? Allo ?
Il semblerait que nous l'avons perdu. Quel dommage.
Mais je ne pense pas que nous en aurons besoin.
Votre Honneur, Mesdames et Messieurs les Membres du Jury. Récapitulons ce que nous avons appris. Les notes de session ont disparu. Les boites des bandes ont disparu. Tout ce que nous avons, ce sont des notes de pochettes, qui sont de toutes fçons erronées, stipulant que ‘Don’t Think Twice’ était accompagnée par un groupe entier, et une hypothèse selon laquelle puisqu'un virtuose impeccable et plein de bon goût était présent ce jour-là, il doit être aussi l'auteur de cette superbe interprétation.
Ce premier point pourrait facilement être pris en compte si nous acceptons l'hypothèse de Mr Heylin selon laquelle une version avec un groupe complet a été enregistrée (avec Langhorne à la guitare) et prévue sur l'album au moins assez sérieusement et suffisamment longtemps pour que Mr Hentoff ait basé ses notes de pochettes sur elle. Mais il y avait également une autre version, celle qui a fini sur l'album.
Et qui jouait celle-là ?
Il est temps de s'affranchir des notes de sessions et boites de bandes, et de réellement écouter la chanson elle-même, ce qui nous reste finalement, même quand tout le reste a disparu.
Trois chansons de cette session ont Langhorne à la seconde guitare. ‘The Ballad of Hollis Brown’ : à la première écoute, on ne remarque pas qu'il y a deux guitares. Lorsque Dylan la jouait seul, il jouait comme ceci :
: . . . : . . .
|---0--keep--------|-----------------|
|---3-strumming----|-----------------|
|---2--------------|-----------------|
|---------0------3-|-0-------0-----3-| etc.
|-------3----------|-------3---------|
|-0----------------|-----------------|
Ce style de jeu est prédominant sur les deux concerts au Gaslight Cafe, qui furent joués seulement deux semaines avant la session d'enregistrement. Un élément important de ce style de jeu est la variation fréquente de la ligne du pouce. Généralement, elle descendcomme ici sur ‘Motherless Children’:
: . . . . . : . . . : . . .
|-------------------------|-0---------------|-----------------|
|-------------------------|-3---------------|-----------------|
|-------------------------|-2---------------|-----------------|
|-3-------2-------0-------|-0---------------|-----------------|
|-------------------------|-0-----------3---|-0---------------|
|-------------------------|-0---------------|-----------------|
hard road ... mother... dead
: . . . : . . . . . . . :
-----------------|---------------------------------|-0----
-----------------|---------------------------------|-3----
-----------------|---------------------------------|-2----
-3-------2-------|-0-------------------------------|-0---- etc
-----------------|---------3-------2---------------|-0----
-----------------|-------------------------3-------|-0----
Le jeu de Langhorne sur ‘Hollis Brown’ utilise le même type de ligne, mis tire avantage de toutes les six cordes, et ajoute également des ornements en montées. Ce qu'il fait : ajouter à la partie que joue déjà Dylan.
Sur ‘Whatcha Gonna Do’, sa contribution est une série de licks blues qui font sortir la chanson de l'urgence simple de la rythmique telle qu'on l'entend dans l version enregistrée en Décembre, mais là encore, il s'agit clairement d'ajout à quelque chose déjà présent.
‘Kingsport Town’. Là encore, Dylan joue la chanson comme il l'aurait jouée s'il avait été seul dans le studio. Langhorne ajoute d'autres types d'ornements : une jolie et gentille ligne mélodique, fréquemment en parallèle six tons au dessus sur le manche de la guitare, dans un style identique à ce qu'on peut l'entendre utiliser sur deux autres chansons enregistrées avec Dylan: ‘Corrina, Corrina’, également sur Freewheelin’ et ‘Love Minus Zero/No Limit’ sur Bringing it All Back Home.
Là, il est encore plus évident qu'il ajoute à ce que Dylan joue déjà : il sort des choses de son propre sac de licks et trucs et les place à coté / autour de ce que Dylan joue. Il jouit de la liberté du soliste : il sait que la base est assurée et peut se concentrer sur embellissements et arabesques, il peut varier ses effets à mesure que la chanson progresse, essayer une dissonance ici et un intervalle là.
A côté d'arabesques lyriques comme celles-là, la patie de guitare de ‘Don’t Think Twice’ sonne comme . . . oui, elle sonne comme si elle avait été joué par un musicien complètement différent. Il s'agit d'un musicien qui ne se soucie pas d'un son trachant ici et d'une corde étouffée par inadvertance là (comme sur la première mesure de l'intro), en contraste important avec le style mpeccable de Langhorne ; un musicien qui est complètement à l'aise avec ce style de picking, par opposition à Langhorne, que sa main mutilée a forcé à développer un style particulier, pas précisément adapté à assurer un accompagnement basique mais plutôt basé sur l'écoute et les interactions avec quelqu'un d'autres qui assure la structure ; un musicien, de plus, qui pousse un ryhtme insistnt et nerveux (par opposition aux lignes lyriques de Langhorne) ; et qui joue un accompagnement remarquablement stable durant les couplets et réserve aux interludes les quelques embellissements en compléments de la ligne principale (rien qui ressemble aux solos variés des autres chansons sur lesquelles joue Langhorne).
Le jeu de guitare sur la chanson utilise un modèle avancé de picking, mais cela ne requiert pas un musicien de séance spécialelement exercé, ce n'est pas si difficile que ça. Cela repose sur une seule technique en complément du picking basique : une anticipation "claudicante" de la note la plus haute de chaque nouvel accord, jouée sur le dernier et huitième temps de la mesure précédente et martelée jusqu'au premier temps de l'acord suivant, pendant que le pouce frappe la corde de basse :
C G7 Am C/g F
: . . . : . . . : . . . : . . .
||-----------------|-------0h1-------|-----------------|-----------------|
||---------------1(|p0)------------1-|---------------0h|-1-----1-------0h|
||-----------0-----|---0-------0---(0|h2)2-------0-----|---2-------2-----
||-----2-------2---|-----0-------0---|-----2-------2---|-----3-------3---|
||-3---------------|-----------------|-0---------------|-----------------|
||---------3-------|-3-------3-------|---------3-------|-1-------0h1-----|
C/g G7 C/g
: . . . : . . . : . . . : . . .
|--------0---------|-------0h1-------|-----------------|-----------------||
|-h1-------------0-|---------------1-|-------1---------|-------1-------1-||
|----0-------0-----|---0-------0-----|---0-------------|---0-------0-----||
|------2-------2---|-----0-------0---|-----2-------2---|-----2-------2---||
|------------------|-----------------|---------3-------|-----------------||
|--3-------3-------|-3-------3-------|-3---------------|-3-------3-------||
Même un guitariste "mineur" comme Dylan (bien qu'il soit incapable par ailleurs d'exprimer ce qu'il ressentait, si l'on en croit Mr Heylin) pourrat gérer cela. Voici ce qu'il joue sur ‘Suze’, enregistrée un an après (alors que ses aptitudes à la guitare étaient, somme toute, déclinantes) :
C F
: . . . : . . . : . . .
-0-|---------------0-|-----------------|-----------------|
---|-----1-----------|-----1-----------|-------1---------|
---|-----------0-----|-----------0-----|---0h2-----2-----|
---|-----2-------2---|-----2-------2---|-----3-------3---|
---|-3---------------|-3---------------|-----------------|
---|---------3-------|---------3-------|-1-------1-------|
D7/f# C/g G Am /g F G
: . . . : . . . : . . . : . . .
|-----------------|-----------------|-----------------|---------------0--||
|-----1---------1-|-------0-------0-|h1-------------1-|-------1p0-------*||
|-----------0-----|---0-------0-----|---2---2---2-----|---2-------0------||
|-----0-------0---|-----2-------0---|-----2-------2---|-----3-------0----||
|-----------------|-----------------|-0---------------|-----------------*||
|-2-------2-------|-3-------3-------|---------3-------|-1-------3--------||
Et au fait, le jeu de guitare de ‘Don’t Think Twice’ lors de la session avec Langhorne sonne étrangement proche de la version enregistrée comme demo pour Witmark en Mars 1963, lors d'une session où même Heylin cite Dylan comme le seul musicien présent : encore plus policée ici, plus abrupte là, mais fondamentalement le même arrangement, le même type de jeu.
J'ai gardé ma meilleure preuve pour la fin. L'interlude à l'harmonica.
Entre les couplets, Dylan rejoue la première ligne des couplets, à l'harmonica. Seulement, il dévie légèrement de la suite d'accords utilisée ailleurs dans la chanson, d'une façon qui pourrait être virtuellement impossible à coordonner entre deux musiciens sans overdubs, et en particulier lors d'une première prise. Voici ce qui est joué entre les deux premiers couplets, le trait vertical indiquant la "partie d'harmonica" :
C . | C G Am . F . C . . . |
Entre le second et le troisième couplet :
C | C G Am . F . C . . |
Et entre les deux derniers couplets :
C | C G Am . F . C G7 C . . . |
Les différences sont subtiles mis significatives : dans le second interlude, il passe à la suite C G Am une mesure plus tôt que le première fois. Cette entrée anticipée se reflète (comme dans un seul esprit) dans l'emphase de la première note d'harmonica. Il commence également le couplet suivant une mesure plus tôt.
Dans le dernier interlude, il lâche un G7 à la fin, suivi d'une mesure complète en C.
Maintenant, Langhorne est peut-être un excellent guitariste et musicien de séances, mais montrez moi un musicien qui pourrait, du premier coup, interagir de façon si proche avec Dylan, suivre ses petites variations, sans la moindre indication perceptible sur l'enregistrement, sans surprise ni hésitation.
Egalement, durant les couplets, l'interaction entre le guitariste et le chanteur est parfaite, trop parfaite pour être réalisée sans préparation préalable.
La seule façon possible de réaliser cela en interaction entre deux musiciens serait de l'avoir répété avant, décidé avant que "la deuxième fois, on coupe une mesure ici et on ajoute un G7 là". Puis le passage au G arrive plus tôt une fois, plus tard la suivante. Mais pourquoi Dylan (l'homme à qui Joan Baez a dédié une chanson "pour avoir un peu de temps pour répéter") aurait fait quelque chose comme ça ? Comment se rappellerait-il entre les passages "deuxième fois, maintenant on coupe ici et ici ... ou bien c'était... maintenant" et accomplirait-il par dessus une première prise parfaite et cohérente ? Et quand auraient-ils eu le temps de s'assoir et travailler un tel arrangement ? Quinze prises ratées de "Confusion", un faux-départ vexé, six autres prises de quatre chansons différentes, et avec tout ça une petite discussion à propos de ces détails dans les arrangements ?
Les dernières notes du solo d'harmonica sont le coup de grâce à l'hypothèse Langhorne. Ecoutez la synchronisation parfaite entre les deux instruments dans le dernier passage au F et le dernier coup de guitare, suivi d'un petit "touit" d'harmonica, et dites-moi que ce n'est pas fait par une seule et même personne.
Non, Mesdames et Messieurs les Membres du Jury, le type qui joue de la guitare sait quand les accords vont changer. Et le seul qui aurait pu le savoir, c'est Dylan lui-même.
[NdT :
i) Jeu de mot intraduisible, disons que je n'ai pas pris le temps de trouver un équivalent, sur le titre "A Musical Whodunnit", qui signifie Polar mais "Qui l'a fait", ie. "Qui l'a joué" au sens premier
ii) Courtroom of Honor et Disgavel sont des références aux paroles de Hattie Caroll "In the courtroom of honor, the judge pounded his gavel"
iii) En fait, une "Dixieland version"
iv) Je traduis "recording sheets" par "notes de session", je n'ai pas trouvé de terme technique ou plus exact, alors que "sheet" indique plutôt un formulaire, peut-être ces papiers avec des colonnes pré-imprimées dont on voit des photos dans Biograph ou Bootleg Series 1-3...
v) Ce mot "remplissage" est vraiment vilain. Si quelqu'un a une meilleure idée pour "fills", j'édite et je remplace.]
[Sources citées par l'auteur :
1Notes de pochette de The Freewheelin’ Bob Dylan, sorti le 27 mai 1963.
2http://www.bjorner.com/DSN00150%201962.htm#DSN00290
3ibid.
4Behind the Shades, Take Two (London: Penguin Books, 2001), p. 104.
5Behind Closed Doors, p. xviii.
6op. cit., p. xix.
7Behind Closed Doors, p. 234.
8Clinton Heylin, Bob Dylan: The Recording Sessions [1960–1994] (St. Martin’s Press, 1995), pp. 13–18 (j'ai souligné).
9http://www.punkhart.com/dylan/sessions-1.html
10ibid.
11ibid.
12Interview by Richie Unterberger, [no date], http://www.richieunterberger.com/langhorne2.html.
13ISIS, November 14, 2002.
14Interview with Richie Unterberger.
15Interview with Jann Wenner, Rolling Stone, 1969]